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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 08:13

Yacine est resté moderne, que ce soit à l’échelle de l’Algérie ou à l’échelle internationale.

C’était un visionnaire. Il pressentait ce qui allait arriver et malgré sa maladie, il me disait : «Ne t’inquiète pas, je serai toujours vivant.» Il utilisait souvent le passé et le présent pour décrire le futur. Je me rappelle cette phrase : «Les pouvoirs montrent leurs dents parce que c’est leur fin.» En me remémorant ces paroles, je ne peux que penser au Printemps arabe, à la Tunisie, à l’Egypte, à la Libye et à d’autres pays encore, y compris le nôtre. Yacine avait une clairvoyance dont peu de ses contemporains peuvent se prévaloir. Il redoutait beaucoup l’islamisme. Il disait souvent que les Frères musulmans, qu’il appelait les «Frères monuments», étaient la source du danger qui menaçait, non seulement l’Algérie, mais le monde entier.

Pour Yacine, le danger n’était pas l’islam, loin de là. Il se considérait comme musulman, comme moi je me considère musulmane, non, le danger, c’était – et il avait largement raison – l’utilisation de cette religion à des fins politiques. Mais il avait beaucoup d’espoir. Yacine me disait souvent que l’Algérie, que l’ensemble de l’Algérie est un peuple de civilisation arabe, mais pas de race arabe. Certes, les «Arabes» ont apporté l’islam, mais ils ont apporté une civilisation. Si Yacine était là, en 2011, il nous demanderait de continuer le combat. Dans l’Algérie de 2011, Yacine aurait été une énième fois exilé. Yacine dénoncerait la corruption, la religion musulmane utilisée à des fins autres que le culte.

Yacine voudrait plus de justice pour ce pays, moins de corruption, plus du tout de corruption. Yacine se battrait pour la culture algérienne enfouie par les Français et qui continue d’être enfouie par le pouvoir depuis l’Indépendance. Yacine dénoncerait les écoles privées au détriment des écoles publiques. Yacine serait contre la privatisation, mais pour le socialisme, le VRAI socialisme, celui qui n’a jamais été appliqué en ce bas monde. Pourquoi le socialisme ? Il n’aurait pas supporté l’état de notre pays. Il n’aurait pas supporté l’état de nos compatriotes.

La majeure partie du peuple algérien est pauvre dans un pays riche et voilà la gravité de la situation qu’il ne cesserait de dénoncer. Yacine, s’il était toujours avec nous, dirait que l’Algérie a besoin d’une révolution, non pas d’une révolution au sens classique du terme, mais d’une révolution culturelle. Eh oui, l’Algérie n’a jamais fait de révolution culturelle, et je le dis haut et fort, Yacine se battrait en 2011 pour cette révolution culturelle. Yacine voulait réveiller le peuple par son théâtre, puis le cultiver, puisque nous avons affaire à un peuple devenu, par la force des choses, inculte, mais cette inculture a été voulue, et mon frère n’aurait jamais cessé de dénoncer cette situation. Le peuple algérien est devenu passif et l’islam politique a aggravé cette passivité. J’espère que ces mots, ces pensées de mon frère sauront faire réfléchir les Algériennes et les Algériens.

Avec mon argent de poche, je lui achetais des Bastos…

Mon meilleur souvenir remonte à l’adolescence. Malgré sa jeunesse, il avait déjà le sens des responsabilités. Chez nous, c’est souvent le frère aîné qui assume cette charge et c’était tout naturellement que Yacine le faisait. Je me souviens que, à chaque retour du collège de Sétif, il revenait toujours avec cette malle en fer dans laquelle il y avait, bien sûr, des poèmes écrits de sa main, mais aussi des cadeaux pour nous. Mes meilleurs souvenirs sont aussi en Kabylie, où Yacine, plein d’affection, s’occupait admirablement de nous. C’est là que j’ai été témoin de ses premières amours… Yacine n’était pas très loquace, c’est vrai, mais il était toujours affectueux. Moi, j’étais toujours son «aide de camp» : je tapais ses écrits à la machine. C’était à Bougaâ (au nord de Sétif, ndlr). Nous allions à cette fameuse rivière où il est devenu poète.

C’était là que nous passions nos vacances. C’était là qu’il me surnommait, par mes «qualités» de secrétaire, «Book Zina» («livre» en anglais et «jolie» en arabe). Avec le peu d’argent de poche que j’avais, je lui achetais des cigarettes Bastos. Nous étions très complices, Yacine et moi. Un jour, alors qu’il avait découvert que Yacine fumait en cachette, notre père l’a battu avec sa canne. De sa poche arrière, des cigarettes tombaient et je les ramassais et les cachais pour les lui redonner par la suite. Yacine a été très influencé par notre mère qui nous contait souvent des histoires en arabe, ainsi que que notre oncle maternel. Notre mère chantait souvent aussi en frappant du pied par terre et ses chants ont beaucoup marqué Yacine.

Pour la troisième année, Guelma rend hommage à son illustre enfant, du mardi 25 au vendredi 28 octobre. Le colloque international dédié à Kateb Yacine devrait, une fois de plus, émerveiller le public et les nostalgiques du «père» de Nedjma, grâce au concours de l’Association locale pour la promotion du tourisme et de l’action culturelle de l’antique Calama. Rendre hommage à Kateb Yacine n’est pas une mince affaire, l’homme de lettres et de théâtre n’étant que trop méconnu sur ses terres ancestrales. Rappeler que Kateb Yacine, bien que natif de Constantine, plus exactement de Condé-Smendou, actuellement Zighoud Youcef, situé sur l’axe menant vers Skikda et Annaba, soit originaire de la wilaya de Guelma, réside dans une volonté de combler un vide mémoriel, tant beaucoup de Guelmoises et de Guelmois le considéraient, jusqu’à une période récente, comme un vague enfant de l’Est, sans plus de précision.

Kateb Yacine, c’est l’enfant des Kablouti de Aïn Ghrour, du côté de Hammam N’bails, à quelque 35 km du chef-lieu de wilaya. Dans ce village, le «butin de guerre» que constitue la langue française est en voie de disparition. La presse francophone est quasi absente, à tel point que le lecteur en français est dans l’obligation de commander ses journaux préférés auprès du buraliste. Maintenant, Kateb Yacine commence à connaître une seconde vie, tant à Guelma qu’à Hammam N’bails, à travers la stèle qui lui est dédiée, du côté de sa mechta paternelle, Aïn Ghrour, à quelques 6 km du chef-lieu de la commune.

«Kateb Yacine est non seulement l’enfant de Hammam N’bails, mais c’est aussi l’enfant de toute l’Algérie. Ceci dit, je souhaite vivement qu’on baptise l’artère principale de notre village du nom de celui qui aura, à mon avis, le mieux fait connaître l’image culturelle de l’Algérie», confie Abdelkrim - dit Krimo - rebelle dans l’âme, mais qui voue un culte à l’algérianité prônée par Kateb Yacine. Nassima, habitante de Hammam N’bails, souhaite aller dans le même ordre d’idées en disant qu’«à l’entrée du village devrait figurer un portrait géant ou une statue de Kateb, qui devrait être inaugurée en présence de ses enfants etpourquoi pas accompagnée d’une chanson au gumbri de Amazigh Kateb, même si ce style est loin du style gasba et bendir, communément entendu par ici».

Le colloque est l’occasion unique pour la population de se mettre en symbiose avec lui, avec la mémoire de son écrivain. Parce que Kateb Yacine, c’est la mémoire commune des Algériens, certes, mais également et surtout de la ville et sa région qui peuvent être fiers de posséder des enfants, autre que Houari Boumediène, qui auront, positivement et pour la postérité, œuvré pour une belle image de l’Algérie. Il est clair que Guelma, tout comme Hammam N’bails et son hameau de Aïn Ghrour ne peuvent à présent être indéfiniment dissociés de celui qui s’est fait connaître en France, alors qu’il n’était que lycéen, en esquissant un portrait biographique de l’Emir Abdelkader.

Kateb Yacine est un témoin oculaire des événements du 8 Mai 1945, alors qu’il n’était que lycéen à Sétif. Sa mémoire, bien préservée en pays kabyle, commence à être revisitée ailleurs, ce qui peut constituer une nouvelle donne à la fois sur l’homme et sur son œuvre.

 

Bio express :

2 août 1929, naissance à Condé-Smendou (Zighoud Youcef), Constantine. 1945, il est arrêté et détenu deux mois. Il découvre Nedjma, une «cousine déjà mariée», dont il tombe secrètement amoureux. 1946, entre en politique en animant des conférences sous l’égide du Parti du peuple plgérien (PPA).

1949-1951, journaliste à Alger républicain. 1952-1959 à Paris, rencontre Malek Haddad, Bertold Brecht et surtout M’hamed Issiakhem. 1956, parution de Nedjma. 1970, nouvelle scène théâtrale algérienne.

1978, exil forcé à Sidi Bel Abbès, pour diriger le théâtre régional ; positions en faveur de l’amazighité, contre le voile des femmes… 1987, Prix national des lettres en France. 28 octobre 1989, décède à Grenoble.

Fadila, sa sœur

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